Circonstances atténuantes

Réflexions hétéroclites sur notre société, bienheureusement désorganisée (mais pas trop) pour notre plus grande joie et notre plus grande liberté.

04 juin 2020

Spectacles

Puisqu'on reparle de Bill Gates, rappelons qu'il n'a commis qu'un crime, mais de taille : appeler Windows ce qui n'est pas des fenêtres. Il contribue à institutionaliser le spectacle et nous renvoie à l'ancien régime où les cadavres de comédiens étaient chassés des cimetières, sans doute pour ne pas sanctifier l'existence ambigüe des humains qui jouent à l'être et mettent en scène une réalité travestie. Aujourd'hui les filtres des réseaux et de l'informatique qui s'interposent dans notre vision font bien pire - pour l'instant impunément.

13 juillet 2010

Anges et logique

Les deux plus célèbres héros de la logique du vingtième siècle, Arthur Conan Doyle pour le grand public et Kurt Gödel pour les mathématiciens et les philosophes, ont chacun passé une partie de leur vie à observer et discuter avec des entités métapsychiques irrationnelles ...

Conan Doyle fréquentait les médiums pour converser avec les morts de sa famille. Gödel fréquentait les anges, comme le montre l'analyse récente de ses notes par Pierre Cassou-Noguès. Et je ne parle pas de Turing, dont la vie et la mort apparaîssent comme le contre-poids irrationnel de ses travaux mathématiques.

Des conclusions devraient s'imposer mais je ne vois pas lesquelles.

06 juin 2010

Les cendres du net

Janvier 2005 n'est pourtant pas bien éloigné dans le passé, nettement en par ici du troisième millénaire. Et pourtant l'expérience que je suis entrain de faire est bien décevante.

Je retrouve dans mes archives mail un message sympathique de Vincent Chauvet :

Bonjour,
Nous sommes des étudiants en licence professionnelle des mètiers du jeu et du jouet. Nous vous avons déjà contacté pour un questionnaire.
Nous vous sollicitons à nouveau afin de vous soumettre un questionnaire afin de connaître vos attentes.
Ce questionnaire ne comporte que très peu de question.
Si vous avez des idées à nous soumettre ou si vous souhaitez des informations, n'hesitez surtout pas à nous contacter.
Licence Professionnelle jeu et jouet .

A l'époque, j'avais répondu. Comme Vincent Chauvet n'avait pas pris la peine de (ou ne savait pas) cacher sa liste de diffusion, je l'utilise pour faire le tour du groupe concerné et leur demander s'ils existent.
A cet instant, tous les mail demons m'informent de la disparition des partenaires initiaux. Sauf un, tiens, qui se manifeste : Serge, de http://www.jeux-alveole.com.

Il mérite d'être noté et visité.
Quelle brousse, le net ! Irrésistible !

...........

24 heures plus tard, quelques autres survivants se sont manifestés. Bilan : j'ai reçu 17 annonces de disparitions d'adresses par démons de courrier et 6 annonces de survie par correspondants vivants.

27 mai 2010

Le code est l'avenir de l'homme, proof of concept

Une nouvelle sur slashdot ce matin amène à mon moulin une eau particulièrement chaude, voire bouillante.
La thèse principale de mon livre sur l'histoire du code est qu'il prend peu à peu (mais maintenant à grands pas) son indépendance pour bientôt s'émanciper et se développer sans l'aide humaine. Comme la vitesse de la lumière est par définition sa vitesse de croisière, le code est bien mieux équipé que nous pour explorer l'espace et se disséminer.
Or Mark Gasson, de l'Université de Reading a infecté une puce informatique, qu'il s'est implantée dans une main et par laquelle il a infecté un PC. L'expérience est certe symbolique mais elle prouve qu'un virus informatique va aussi facilement de l'homme au PC que de la vache folle à l'homme.

22 mai 2010

Gödel, preuve charnelle

"Les démons de Gödel, Logique et folie", de Pierre Cassou-Noguès, paru au Seuil en 2007 n'est venu à ma connaissance que ces dernières semaines et me comble littéralement. Il apporte enfin, presqu'un siècle plus tard, une véritable démonstration du célèbre énoncé de Gödel.

Il ne s'agit plus du gadget arithmétique classique où KG produit une manière de numériser univoquement les énoncés, bâtit un énoncé portant sur un nombre et y fourre le nombre de l'énoncé. Ce n'était rien d'autre que refaire arithmétiquement le bon vieux paradoxe du barbier mais la numérigentsia avait sans doute besoin de ce détour pour être secouée dans ses fondements puisqu'on en tremble encore. Je ne parle pas de Turing, qui s'est pris les pieds dans un autre détour, plus mécanique, avec au moins le mérite de nous laisser au passage les bases de l'informatique - sauf qu'on sait maintenant que dans le même temps Konrad Zuse faisait de bien meilleurs constructions de l'informatique mais oblitéré par l'univers nazi. Mais je m'égare.

Cassou-Noguès a l'immense mérite d'avoir exhumé cette démonstration, laissée derrière lui par Gödel, et que personne n'avait remarquée. Il s'agit d'un journal intime informe - forcément informe puisque méta-logique - où le logicien s'explore et descend dans ses propres fondements, jusqu'aux couches originales, les bases folles et démoniaques. Une exploration de la validité de la logique ne peut pas être logique, sauf à être fatalement biaisée de tautologie. L'exploration acceptable ne peut qu'être entreprise par d'autres outils, ou même sans outil, avec la seule faiblesse humaine du curieux et c'est ce qu'a fait Gödel après s'être débarrassé de sa présentation académique. Très classiquement, en vrai chercheur guidé par l'intuition, il eut la vision du résultat, en donna une description formelle sacrifiant aux bonnes manières mathématiques, puis, libéré, plongea dans l'authentique profondeur, accumulant un journal de son voyage, comme Xavier de Maistre aurait pu écrire "Voyage autour de ma cave", à ses risques et périls. L'impressionnante proportion de logiciens victimes de pathologies mentales est d'ailleurs rappelée par Cassou-Noguès.

A mon sens, la logique existe, certes, mais pratiquement et localement et les tentatives de généralisation mènent au paradoxe et à la folie. L'usage du mot "tout" est tout simplement rendu impossible par le passage du temps. Le tout de l'instant actuel, pour autant qu'il soit maîtrisable, n'est pas ce qu'il sera dans l'instant suivant, qui lui-même ne donne aucun indice sérieux de ce qu'il sera dans l'instant ultérieur.

Mais les lecteurs d'Alfred Korzybski savent cela depuis longtemps.

On notera aussi la référence fréquente de Gödel à la "machine" comme référence humainement inaccessible à la logique parfaite.

28 avril 2010

Détail révélateur

La pratique de l'objective-C, le patois C imposé par Apple pour développer sur l'iPhone et l'iPad, a l'intérêt d'éprouver de l'intérieur la façon de penser dans les laboratoires de Cupertino. Je n'en donnerai qu'un détail, qui est tout à fait révélateur de leur attitude et plus particulièrement de celle de Monsieur J.

Dans l'immense majorité des langages informatiques, on montre un objet graphique en déclarant
monObjet.visible = true
et on le cache avec
monObjet.visible = false

Eh bien il n'en va pas du tout ainsi en objective-C. On y montre un object graphique avec
monObjet.hidden = NO
et on le cache avec
monObjet.hidden = YES.

Le programmeur innocent peut passer un peu de temps à découvrir cette subtilité. Il peut aussi remarquer que la visibilité n'est pas vraie ou fausse, comme dans les vulgaires langages habituels. Ici, la visibilité répond à une commande humaine : oui, ou non. A Cupertino on accorde ou on refuse.

Chez Apple donc, par défaut, on est caché. A la rigueur, en cas d'absolue nécessité, on accepte de se montrer.

Cela dit, je saisis l'occasion de vous inciter à (re)lire l'extraordinaire livre de Blaise Cendrars "Le Lotissement du Ciel", mettant en scène Saint Joseph de Cupertino. Le modeste mais divin moine ne pouvait se retenir de léviter dès qu'il entamait une prière. S'il s'obstinait à prier, il restait coincé dans les poutres du toit de la chapelle. Cela perturbait gravement les pieuses activités de sa communauté.
Aucune relation avec le début de ce blog.

20 avril 2010

Art et jeu

Roger Ebert relance une vieille polémique fort intéressante : il affirme que le jeu vidéo n'est pas et ne sera jamais "de l'art". C'est évidemment contraire à tout ce que j'ai toujours affirmé, et même plus généralement : que le jeu, sous tous ses aspects, est une forme d'art. Je prétends même que c'est une forme d'art plus intéressante et plus chargée de sens que les formes non-interactives qui n'impliquent pas leurs spectateurs.
Le curieux argument de Ebert - le jeu n'est pas de l'art car on y gagne ou on y perd - se retourne contre lui. Le jeu est au contraire une forme d'art supérieure car on peut aussi interagir, gagner, s'y perdre, rencontrer d'autres joueurs, etc. Marcel Duchamp avait fait un pas intermédiaire en considérant l'art "oculiste", qui survient dans l'oeil du spectateur. Quoique lui-même grand joueur d'Echecs, il ne fait pas ouvertement la liaison entre sa posture de joueur et sa posture d'artiste. Il reste fidèle à sa conception de l'art qui se crée et se réalise dans le regard du public. Il nous laisse la liberté de comprendre qu'il n'avait en fait qu'une seule et même posture : la casquette d'un créateur particulièrement fécondant.
Enfin, ne pas oublier que l'affirmation de Ebert quête la question, pour parler comme les anglo-saxons : avant d'affirmer que ceci ou cela est ou n'est pas de l'art, il faudrait définir ce qu'est l'art. Bon courage ! Personnellement je choisirai une définition extensionnelle à la Alfred Korzybski : on appelle "art" ce qu'un nombre raisonnable de personnes décident d'appeler art. Il revient donc aux joueurs et aux créateurs de jeux de confirmer que le jeu est un art, quitte, à leur tour, à rejeter de l'art des formes qui leurs déplaisent.