Réflexions hétéroclites sur notre société, bienheureusement désorganisée (mais pas trop) pour notre plus grande joie et notre plus grande liberté.

28 avril 2010

Détail révélateur

La pratique de l'objective-C, le patois C imposé par Apple pour développer sur l'iPhone et l'iPad, a l'intérêt d'éprouver de l'intérieur la façon de penser dans les laboratoires de Cupertino. Je n'en donnerai qu'un détail, qui est tout à fait révélateur de leur attitude et plus particulièrement de celle de Monsieur J.

Dans l'immense majorité des langages informatiques, on montre un objet graphique en déclarant
monObjet.visible = true
et on le cache avec
monObjet.visible = false

Eh bien il n'en va pas du tout ainsi en objective-C. On y montre un object graphique avec
monObjet.hidden = NO
et on le cache avec
monObjet.hidden = YES.

Le programmeur innocent peut passer un peu de temps à découvrir cette subtilité. Il peut aussi remarquer que la visibilité n'est pas vraie ou fausse, comme dans les vulgaires langages habituels. Ici, la visibilité répond à une commande humaine : oui, ou non. A Cupertino on accorde ou on refuse.

Chez Apple donc, par défaut, on est caché. A la rigueur, en cas d'absolue nécessité, on accepte de se montrer.

Cela dit, je saisis l'occasion de vous inciter à (re)lire l'extraordinaire livre de Blaise Cendrars "Le Lotissement du Ciel", mettant en scène Saint Joseph de Cupertino. Le modeste mais divin moine ne pouvait se retenir de léviter dès qu'il entamait une prière. S'il s'obstinait à prier, il restait coincé dans les poutres du toit de la chapelle. Cela perturbait gravement les pieuses activités de sa communauté.
Aucune relation avec le début de ce blog.

20 avril 2010

Art et jeu

Roger Ebert relance une vieille polémique fort intéressante : il affirme que le jeu vidéo n'est pas et ne sera jamais "de l'art". C'est évidemment contraire à tout ce que j'ai toujours affirmé, et même plus généralement : que le jeu, sous tous ses aspects, est une forme d'art. Je prétends même que c'est une forme d'art plus intéressante et plus chargée de sens que les formes non-interactives qui n'impliquent pas leurs spectateurs.
Le curieux argument de Ebert - le jeu n'est pas de l'art car on y gagne ou on y perd - se retourne contre lui. Le jeu est au contraire une forme d'art supérieure car on peut aussi interagir, gagner, s'y perdre, rencontrer d'autres joueurs, etc. Marcel Duchamp avait fait un pas intermédiaire en considérant l'art "oculiste", qui survient dans l'oeil du spectateur. Quoique lui-même grand joueur d'Echecs, il ne fait pas ouvertement la liaison entre sa posture de joueur et sa posture d'artiste. Il reste fidèle à sa conception de l'art qui se crée et se réalise dans le regard du public. Il nous laisse la liberté de comprendre qu'il n'avait en fait qu'une seule et même posture : la casquette d'un créateur particulièrement fécondant.
Enfin, ne pas oublier que l'affirmation de Ebert quête la question, pour parler comme les anglo-saxons : avant d'affirmer que ceci ou cela est ou n'est pas de l'art, il faudrait définir ce qu'est l'art. Bon courage ! Personnellement je choisirai une définition extensionnelle à la Alfred Korzybski : on appelle "art" ce qu'un nombre raisonnable de personnes décident d'appeler art. Il revient donc aux joueurs et aux créateurs de jeux de confirmer que le jeu est un art, quitte, à leur tour, à rejeter de l'art des formes qui leurs déplaisent.