Réflexions hétéroclites sur notre société, bienheureusement désorganisée (mais pas trop) pour notre plus grande joie et notre plus grande liberté.

22 mai 2010

Gödel, preuve charnelle

"Les démons de Gödel, Logique et folie", de Pierre Cassou-Noguès, paru au Seuil en 2007 n'est venu à ma connaissance que ces dernières semaines et me comble littéralement. Il apporte enfin, presqu'un siècle plus tard, une véritable démonstration du célèbre énoncé de Gödel.

Il ne s'agit plus du gadget arithmétique classique où KG produit une manière de numériser univoquement les énoncés, bâtit un énoncé portant sur un nombre et y fourre le nombre de l'énoncé. Ce n'était rien d'autre que refaire arithmétiquement le bon vieux paradoxe du barbier mais la numérigentsia avait sans doute besoin de ce détour pour être secouée dans ses fondements puisqu'on en tremble encore. Je ne parle pas de Turing, qui s'est pris les pieds dans un autre détour, plus mécanique, avec au moins le mérite de nous laisser au passage les bases de l'informatique - sauf qu'on sait maintenant que dans le même temps Konrad Zuse faisait de bien meilleurs constructions de l'informatique mais oblitéré par l'univers nazi. Mais je m'égare.

Cassou-Noguès a l'immense mérite d'avoir exhumé cette démonstration, laissée derrière lui par Gödel, et que personne n'avait remarquée. Il s'agit d'un journal intime informe - forcément informe puisque méta-logique - où le logicien s'explore et descend dans ses propres fondements, jusqu'aux couches originales, les bases folles et démoniaques. Une exploration de la validité de la logique ne peut pas être logique, sauf à être fatalement biaisée de tautologie. L'exploration acceptable ne peut qu'être entreprise par d'autres outils, ou même sans outil, avec la seule faiblesse humaine du curieux et c'est ce qu'a fait Gödel après s'être débarrassé de sa présentation académique. Très classiquement, en vrai chercheur guidé par l'intuition, il eut la vision du résultat, en donna une description formelle sacrifiant aux bonnes manières mathématiques, puis, libéré, plongea dans l'authentique profondeur, accumulant un journal de son voyage, comme Xavier de Maistre aurait pu écrire "Voyage autour de ma cave", à ses risques et périls. L'impressionnante proportion de logiciens victimes de pathologies mentales est d'ailleurs rappelée par Cassou-Noguès.

A mon sens, la logique existe, certes, mais pratiquement et localement et les tentatives de généralisation mènent au paradoxe et à la folie. L'usage du mot "tout" est tout simplement rendu impossible par le passage du temps. Le tout de l'instant actuel, pour autant qu'il soit maîtrisable, n'est pas ce qu'il sera dans l'instant suivant, qui lui-même ne donne aucun indice sérieux de ce qu'il sera dans l'instant ultérieur.

Mais les lecteurs d'Alfred Korzybski savent cela depuis longtemps.

On notera aussi la référence fréquente de Gödel à la "machine" comme référence humainement inaccessible à la logique parfaite.

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